"Pour toi Jules" : comment faire face au handicap d'un enfant ?

27 février 2024 à 6h01 - Modifié : 28 février 2024 à 9h18 par Sébastien RUFFET

Pour toi Jules
Jules et sa maman Monique lors d'une séance de dédicace en décembre dernier
Crédit : @DR

C'est une histoire familiale qui se joue à Stotzheim depuis une dizaine d'années. Né handicapé, Jules réussit à progresser grâce à l'amour de ses parents et de son frère Maxime. La maman, Monique, a raconté dans un blog, transformé en bouquin, ce quotidien entre souffrances, amour et petits bonheurs. Une leçon de vie.

Top Music : Reprenons le début, la naissance de Jules : comment on vit ce moment-là, avec l'annonce qui suit ?

Monique Frohn : Honnêtement, tout va tellement vite, on ne se rend pas compte. On attend un heureux événement, on vous l'annonce très vite, il n'y a pas le temps de réfléchir. On se dit qu'il faut faire tout ce qu'il faut pour ce petit bonhomme qui n'a rien demandé. L'urgence c'était que le petit Jules s'en sorte, et que je m'en sorte aussi, parce qu'on a failli mourir tous les deux. J'étais en salle de réveil, le petit parti pour Hautepierre, on a été séparés quelques jours. Tout vient au fur à mesure des semaines, des mois, des années, et on découvre des choses. La grossesse se passe bien, on est très en forme, ce sont des choses qu'on ne voit pas, et c'est à l'arrivée du petit bout de chou que tout tombe. 

Il y a un grand frère qui doit lui aussi s'adapter, comme toute la famille...

Il attendait le petit frère, il est venu me voir à l'hôpital et là il se rend compte que dans le berceau il n'y a personne, donc il faut lui expliquer... On a eu de la chance, parce qu'on a été très bien entourés, par les équipes de réa néonat' de Hautepierre qui font un travail énormissime avec les petits, les fratries, il les accompagnent très, très bien. Et ça nous a aidé à y voir plus clair, à comprendre la situation, à aider le grand frère à accepter. Il y a eu tout de suite un lien, une complicité entre eux deux, qui est juste inimaginable. Ils sont très complices depuis le début, et c'est aussi ce qui nous fait grandir

C'est une histoire familiale qui se construit au fil du temps... De l'extérieur, on voit le handicap mais peut être pas ces liens là ?

Tout à fait. On a grandi avec. On a la chance d'avoir un petit Jules toujours jovial, dynamique, entraînant, et c'est lui qui nous pousse à l'accompagner jusque là, parce qu'il est toujours en demande, plein d'énergie et c'est lui nous pousse au final. 

Vous avez eu envie de raconter cette histoire dans un livre : c'est aussi un besoin de partager ces expériences là ? 

Quand on débute l'écriture on ne s'en rend pas compte. Au début, c'était pour se faire recruter par un site à l'étranger pour obtenir du matériel qu'on n'a pas en France et qu'on a du mal à obtenir. Et au fur à mesure, on trouve l'imagination pour écrire la suite, et on se rend compte que c'était peut-être une nécessitéé pour se libérer aussi, mieux accepter certains épisodes, parce que c'est pas toujours simple d'être tous les jours à l'hôpital, de laisser un grand frère à la maison, de sacrifier sa vie professionnelle parce qu'il s'est passé trois années où vous ne pouvez pas reprendre une vie quasi normale. On sait que la vie ne sera plus jamais la même. On a la chance d'avoir un Jules qui nous pousse vers une vie "normale". 

C'est important aussi le partage avec d'autres parents ?

Oui, on se rend compte que par le handicap beaucoup de familles n'ont pas envie de parler aux autres. On est mis devant le fait accompli, il y a des gens qui acceptent, mais d'autres qui n'acceptent pas. Ce que je veux dire, c'est qu'on vit tous la même chose : une vie de parents qui essayent de pousser leurs enfants vers le haut. On a juste envie de donner de l'amour pour les aider à avancer. 

 

"C'est pas si simple de faire les bons choix ! Comment on choisit les cadeaux de Noël, comment on organise un goûter, un anniversaire... "

 

Ce sont des petits chapitres, courts...

Oui des petits instants précis du quotidien : les difficultés qu'on peut rencontrer avec les administrations, le choix d'un premier fauteuil roulant... Il faut accepter d'acheter un fauteuil, que l'enfant ne pourra pas aller à l'école maternelle, mais l'inscrire quand même, lui choisir un avenir. C'est pas si simple de faire les bons choix ! Comment on choisit les cadeaux de Noël, comment on organise un goûter, un anniversaire... 

Dans le livre, on est sur les premières années de sa vie, de 0 à 4-5 ans environ. Avec le recul, cela fait remonter des souvenirs ?

C'est toujours plein d'émotion, mais au début, quand le livre est paru, je n'ai pas réalisé. Et oui, je relis toujours des passages, et je me dis que je ne changerais rien. Quand je vois la façon dont il a progressé, c'est pas de la fierté ou de l'égo, c'est juste de la joie de se dire qu'on y arrive. Il peut aujourd'hui se lever... Oui on va encore passer par des lourds moments d'opérations, d'hospitalisations, mais aujourd'hui ma fierté, c'est qu'il soit là, qu'il m'accompagne et qu'il réalise ce qu'on fait pour lui. 

A qui vous destinez ce livre ?

Je le destine déjà à toutes les familles qui vivent la même chose que nous. Pour les parents qui peut-être ont juste peur de faire face au handicap. Un enfant handicapé n'est pas forcément différent des autres, j'aimerais que les gens l'entendent. On est né, oui, handicapé, mais on peut vivre, on peut aller au Racing normalement, faire plein de choses. C'est pas facile dans les lieux publiques, parce qu'on est souvent jugé. Mais j'aimerais que les gens le comprennent, que c'est la volonté de vivre une vie normale avec un enfant. Et ce livre je le destine aussi à mes deux fils : au plus grand pour qui j'ai beaucoup de fierté de la façon dont il s'occupe de son frère, et ça c'est juste magique ; et aussi à Jules parce que c'est son histoire, et qu'on y serait peut être pas arrivés sans sa force de caractère à lui.

 

Alors, une "vie normale", ça veut dire qu'on le gronde, qu'on le punit aussi ? 

(rires) Oui c'est de l'éducation ! Il en joue bien ! On donne la même éducation à Jules que j'ai pu donner à son grand frère. Jules essaye de négocier, mais on essaye de donner les mêmes horizons de vie. Alors oui, on le gronde un peu moins souvent, parce qu'il y a le handicap, mais il en joue, on s'en rend compte et ça c'est vraiment adorable aussi. 

On sent quelque chose de très fusionnel... Il y a un lien forcément différent ? Parce qu'il y a cette question de l'autonomie... Est-ce qu'il a autant besoin de vous que vous avez besoin de lui ?

Je pense que oui. Cette complicité est magique. J'ai eu la même avec mes deux fils, mais Jules a en effet plus de besoin d'un point de vue de l'autonomie, mais je suis une vraie maman gâteau (rires). Alors c'est un pur plaisir de l'accompagner, de l'aider à évoluer, parce qu'il est tellement pétillant que forcément ça nous pousse aussi. On cumule une vie professionnelle, une vie privée... Je l'ai jamais changé, et je le changerai jamais. 

Quels ont été les derniers progrès visibles réalisés par Jules ?

Jules se lève quasiment tout seul. On est aussi dans l'espoir, avec l'association Pour toi Jules, de le pousser vers un avenir professionnel. Chacun a droit à sa vie. L'équipe médicale qui l'accompagne, neurologue, prothésiste... ils disent tous qu'il évolue de façon miraculeuse. C'est un garçon qui devait rester à l'état végétatif, et il ne l'est plus du tout. On va essayer de concevoir un exo-squelette sur mesure pour lui permettre une avancée vers la marche, qui est l'un de ses rêves : toucher des pieds un terrain de foot (sourire). 

Jules était heureux de passer dans les studios de Top Music.

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L'entretien intégral en audio de Monique Frohn.