Rebond de l'épidémie de Covid-19 en Alsace : interview du Pr Hansmann

4 septembre 2020 à 17h46 - Modifié : 10 mai 2021 à 11h03 par Anne-Sophie Martin

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Professeur Yves Hansmann, infectiologue, chef du service des maladies infectieuses au Nouvel Hôpital

On assiste à un début de rebond de l'épidémie. L'agglomération de Strasbourg est dans le rouge, le seuil d'alerte est dépassé avec actuellement 55 nouveaux cas pour 100 000 habitants. Alors que l'arrêté préfectoral dans le Bas-Rhin a été retoqué en partie par le tribunal administratif, l'infectiologue Yves Hansmann défend le port du masque obligatoire en extérieur. Il revient sur l'évolution actuelle de l'épidémie. 

Interview du Professeur Yves Hansmann, infectiologue, chef du service des maladies infectieuses au Nouvel Hôpital civil de Strasbourg.

Quelle est la situation actuelle au CHU de Strasbourg ? Est-ce que vous prenez en charge de plus en plus de patients atteints du Covid-19 ?
Oui, on a constaté une augmentation du nombre de patients, à la fois des patients qui viennent aux urgences et qui nécessitent une hospitalisation au service de maladies infectieuses, mais également des patients qui sont pris en charge en service de réanimation. (...) Depuis deux à trois semaines, la situation s’est inversée avec une augmentation tout à fait évidente. On a dû rouvrir une partie du service de maladies infectieuses dédiée à la prise en charge de ces patients.
 
Combien de personnes sont en réanimation actuellement au CHU de Strasbourg ?
C’est assez variable selon les jours. Beaucoup moins qu'au début de l'épidémie, on est sur quelques personnes qui sont hospitalisées en réanimation alors que plus de 100 étaient hospitalisées au mois de mars. 
 
On a évoqué récemment un virus moins virulent. Est-ce vrai ou rien ne le démontre ?
On espère tous que le virus devienne un peu moins virulent. Il y a quelques hypothèses qui pourraient aller dans ce sens là. Maintenant, force est de constater qu’on n'a pas d’arguments forts, solides pour étayer cette hypothèse. Aussi bien sur le domaine virologique que nos constats en clinique, les personnes qui sont à nouveau hospitalisées depuis deux à trois semaines présentent bel et bien des formes graves d’infection à la Covid avec des atteintes pulmonaires telles qu’on les avait connues au mois de mars, avec malheureusement, pour certaines d’entre elles, un besoin d’avoir recours à la réanimation. Ils n’ont plus la capacité de respirer pour avoir suffisamment d’oxygène donc ils ont besoin d’une intubation et donc dans ce qu’on constate malheureusement la virulence due à l’infection semble être la même que celle qu’on a constatée au mois de mars
 
Est-ce que la prise en charge des malades atteints du Covid-19 a évolué depuis le mois de février ? 
Alors oui, tout à fait. On a quand même profité de l’expérience qu’on a accumulée au cours de ces derniers mois pour prendre en charge de façon plus optimale qu’au début les patients. On arrive mieux à évaluer les situations qui nécessitent la réanimation et celles qui ne la nécessitent pas. On a également à notre disposition des techniques respiratoires qui sont un peu différentes. Nous disposons également de nouvelles thérapeutiques qui permettent d’éviter dans certains cas une évolution délétère, en particulier certains traitements à base de cortisone. On a effectivement amélioré la prise en charge. On a également su détecter des complications liées à la Covid, en particulier les embolies pulmonaires, qu’on réussit maintenant à prévenir en utilisant des médicaments anticoagulants. 
 
Un patient qui arrive au CHU dans un état grave actuellement, par rapport au mois de février, a beaucoup plus de chances d’être guéri ?
Ce n’est pas encore évalué de façon très rigoureuse sur le plan de la méthodologie, mais il est évident qu’au mois de février, on découvrait cette infection et on n'avait aucune connaissance médicale sérieuse sur cette infection, on a tout découvert au fur et à mesure. Maintenant, on a effectivement des protocoles thérapeutiques qui permettent d’améliorer la prise en charge. 
 
La période hivernale va bientôt arriver. Avec la conjonction de la grippe et du coronavirus, à quel scénario doit-on se préparer ?
C’est vrai que cette conjonction d’infection grippe plus coronavirus ne nous rassure pas complètement puisque ce sont des infections qui ont des manifestations qui peuvent être assez proches : de la fièvre, des troubles respiratoires, une difficulté à respirer, des douleurs thoraciques. 
 
Les premiers symptômes sont les mêmes ? 
Les premiers symptômes peuvent être assez semblables. (...) Donc c’est vrai que cette année, comme tous les ans mais encore plus que les années précédentes, je pense que la prévention de la grippe par la vaccination est absolument justifiée et même totalement indispensable pour diminuer au maximum le nombre de personnes qui peuvent présenter une grippe et qui pourraient avoir des symptômes susceptibles d'être confondus avec le coronavirus. 
 
Cela signifie que la vaccination de la grippe pourrait devenir obligatoire ? 
Je ne sais pas s'il y aura des recommandations en terme d’obligation par contre les patients seront très forcément incités à se faire vacciner contre la grippe. Je pense que c’est un élément qui va être tout à fait déterminant dans la maîtrise du phénomène épidémique. 
 
En cas de grave rebond de l’épidémie, est-ce que les hôpitaux et services de réanimation sont prêts à Strasbourg et en Alsace ?
Dans tous les hôpitaux maintenant, on bénéficie de notre expérience. (...) On sait comment faire, on sait quel est le nombre de lits qu’il faut si le nombre de personnes affectées augmente. On peut remettre en place cette organisation, même si c’est loin d’être simple. Il va falloir trouver des ressources humaines suffisantes si on est amené à ouvrir des lits, ce qui n’est pas forcément facile dans le contexte actuel.  
 
Les effectifs sont-ils toujours en tension ?
Ils sont toujours en tension, je ne peux pas dire l’inverse. Surtout sur le plan des effectifs  infirmiers : c’est un fait évident.

Que pensez-vous des mesures en vigueur sur le port du masque obligatoire en extérieur ? L’arrêté pris dans le Bas-Rhin par la préfète puis retoqué par le tribunal administratif. Est-ce que le port du masque est nécessaire ? 

La question est intéressante car elle est très débattue. C’est intéressant, à titre personnel, de prendre l’habitude de porter le masque au maximum. Après, les règles qu’on propose et qu’on applique, sont des règles qui n’ont pas fait l’objet d’une évaluation qui permettrait de dire « telle ou telle règle est absolument indispensable et va être absolument meilleure ». Ce qui est sûr, c’est qu’en milieu clos, et cela j’en suis totalement convaincu, le port du masque est absolument nécéssaire et utile. À l’air libre, c’est en particulier ce qui a été très discuté et a fait l'objet de polémiques.À mon avis, ce qui est intéressant, c’est ce que les gens prennent l’habitude de porter le masque quelles que soient les circonstances. Personnellement, je suis plutôt favorable au port du masque partout de façon à ce que cela devienne un réflexe. On sort de chez soi, et on se dit "j’emmène mon masque". Dans la rue, on ne sait pas qui on va rencontrer, avec qui on va discuter, on ne sait pas dans quel magasin ou quel endroit on va entrer. Si on porte le masque dès qu’on sort, c’est plus facile à appliquer que si on met des règles plus complexes. Je regrette qu’il y ait cette polémique. Je pense qu’il faut qu’on arrive également à appliquer des règles même si elles ne sont pas parfaitement expliquées par des données scientifiques. Il faut que les personnes acceptent des règles qui sont relativement peu contraignantes. 

Retrouvez ci-dessous un extrait de l'interview. L'intégralité de l'interview avec le Pr Hansmann diffusée dans notre émission podcast "L'Essentiel c'est la santé".