Covid-19 : derniers chiffres et interview du Pr Jean Sibilia

20 octobre 2020 à 13h50 - Modifié : 10 mai 2021 à 11h04 par Anne-Sophie Martin

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Pr Jean Sibilia, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg et rhumatologue au CHU de Strasbourg.

L'épidémie progresse en Alsace avec un taux d’incidence de 179 cas dans le Bas-Rhin et 226 cas pour 100 000 habitants à Strasbourg.  En Alsace, il y a de nouveaux clusters dans le milieu sportif.

Dans son communiqué, l'ARS précise que depuis début octobre, le taux d’incidence double chaque semaine dans l’Eurométropole de Strasbourg. Le nombre de nouveaux cas est ainsi passé de 68 (au 3 octobre) à 226 (du 9 au 15 octobre) pour 100 000 habitants.

Sur la même période, le nombre de nouveaux cas chez les personnes de plus de 65 ans, personnes les plus à risque, a été multiplié par quatre. Un élément rassurant, les hospitalisations progressent légèrement : avec 78 hospitalisations dans le Bas-Rhin dont 12 personnes en réanimation.
L’Agence régionale de santé rappelle qu’il est essentiel, même en famille, de respecter scrupuleusement les gestes barrières : port du masque, distanciation physique, et lavage répété des mains.

En raison de nouveau clusters dans les milieux sportifs dans les clubs de foot et de basket, la préfète du Bas-Rhin prendra un arrêté en fin de semaine pour interdire les buvettes lors des événements sportifs dans le département. Une utilisation restreinte des vestiaires et des douches sera également recommandée.  


Sur l'évolution de l'épidémie, extraits de l'interview en podcast du Pr Jean Sibilia, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg et rhumatologue au CHU de Strasbourg.
 
 
Le Pr Jean Sibilia revient sur les récentes annonces du Président Emmanuel Macron, sur la nécessité de restreindre nos rencontres amicales et familiales.
"Je suis évidemment profondément désolé, on va nuire à la vie culturelle et à la vie conviviale du quotidien dans les restos, dans les bars, on va nuire aussi un petit peu à la rencontre familiale. Le président a parlé d’une règle des six. Alors évidemment règle des six, pourquoi six plutôt que dix ou douze ? Mais ce n’est pas là, la question. La question c’est qu'on veut conserver de la vie familiale et sociale. L'OMS a déterminé il y a bien longtemps que le santé des hommes, ce n'était pas que la santé du corps mais la santé aussi de l’esprit et celle de la société. Vous voyez on a besoin de cette vie familiale, mais il faut la restreindre au maximum et même en société. J'ai des parents de plus de 80 ans, c'est compliqué, on a envie des les embrasser, mais on doit faire en sorte que le virus ne se transmette pas. Les annonces du président ont été logiques, ça se comprend.
 
Qu’est-ce que vous répondez aux sceptiques qui disent : "on en fait trop, trop de restrictions, le taux de mortalité du covid n'est pas si élevé."
Je peux vous dire que le soignant est choqué par ces propos, je leur dis juste un truc : "venez en réanimation voir ce qu'est un malade intubé et vous verrez". Il n y a pas d' autre réponse. Et je vous fais un rapide calcul, c'est un premier passage dans une population immunologiquement naïve, qui n’a aucune défense contre ce virus, on pourrait penser que plus de la moitié de la population sera touchée, et même si le virus n'a une mortalité que de 0,5%, c’est des dizaines et des dizaines de milliers de morts. Voilà, il n y a pas grand chose d’autre à dire, les sceptiques je les renvoie à ça, si dans leur esprit d’humanité, ils ne comprennent pas que ceux qui risquent de mourir sont des gens âgés et fragiles, si ils n’ont pas cette vision respectueuse, je les invite à venir en réanimation au CHU, voir ce que c’est un malade intubé infecté par un covid. 
 
Le problème c’est la capacité des hôpitaux. Les hôpitaux sont-ils bien armés en cas de grosse deuxième vague ? 
Je vais être dur et direct, on n'est jamais armé pour faire face à un risque massif, certes on est mieux armé qu'en mars mais nous ne le sommes pas définitivement pour faire face à des milliers et des milliers de malades infectés. (...) Le système de soins hospitaliers n’est pas dimensionné pour faire face à une vague massive de gens ayant une infection d’organes vitaux. Car c’est ça le covid, outre le fait que le virus tue le lien social ou altère le lien social, médicalement c’est malheureusement un virus qui touche le poumon, le coeur, les vaisseaux et le cerveau entre autres. Ce sont des fonctions vitales et une altération grave de ces fonctions qui mènent en réanimation. Nos soignants ne sont pas assez nombreux mais on ne le sera jamais assez, c'est pourquoi il faut éviter une infection massive. On n'a pas d'autre choix que de bloquer la circulation du virus, par ce qu’on appelle les mesures de distanciation sociale bien que je préfère employer le terme de distanciation physique. C’est le seul moyen avant le vaccin et avant d’éventuels traitements. (...).
 
Le manque de prise en charge des patients hors covid, pendant la première crise sanitaire a eu des conséquences dramatiques. Récemment, il y a eu un appel des médecins à ne pas oublier les autres malades.
Je pense que la situation est assez différente. Au moment du printemps, en tout cas chez nous en Alsace plus qu’ailleurs, notre système était saturé par des malades covid. Avec le confinement, les gens ne se sont pas déplacés. 
La peur évidemment d’attraper le covid à l'hôpital a fait que les gens ne sont pas venus, même les gens atteints de maladies graves. D’ailleurs ça reste mystérieux, et ce sera très intéressant à analyser, il y a eu  moins d’infarctus du myocarde et moins d’accidents vasculaires cérébraux. C’est incompréhensible, car si vous avez un accident aigü, vous êtes suffisamment gravement atteint pour aller directement à l’hôpital, or on en a vu moins.
Ça n’est plus exactement le cas maintenant en tout cas en Alsace pour trois raisons, d’abord parce qu'on a vécu ça, deuxièmement car on n’a pas de confinement généralisé et troisièmement car on est organisé différemment. On est aujourd’hui confronté aux deux flux, au flux grimpant des malades Covid qui pour l’instant n’encombre pas nos services, mais ça peut venir malheureusement, et au flux de malades avec ceux qui n’ont pas été très bien soignés au début de l’année, qui sont toujours là, qui doivent être opérés.(...) On doit être capable d'accueillir tous les patients, et il faut demander aux gens de consulter, ne vous laisser pas prendre par cette peur là, il n’y a pas plus de risques d’attraper le covid à l’hôpital qu'ailleurs, l’hôpital est sécurisé il ne faut pas hésiter à venir s'il y a des choses graves. 
 
Le Pr Sibilia insiste sur la meilleure prise en charge des patients atteints du Covid-19 :                      
Je rends hommage à mes amis réanimateurs. On a divisé par deux ou trois la mortalité en réanimation. Grâce à la qualité de nos équipes, c'est 16 % de mortalité en réanimation à Strasbourg : "bravo à nos réanimateurs". On sait mieux ventiler et anticoaguler les malades, et on sait mettre de la cortisone, quand il faut. Mais je précise bien, "quand il faut", ce n’est pas cortisone pour tout le monde, attention à ne pas bricoler avec ce médicament. On a vraiment amélioré la prise en charge des malades. (...)
 
Est-ce que vous préconisez le vaccin de la grippe pour tous ?
Oui il faut vacciner cette année. L’an dernier, la grippe n'avait pas fait trop de dégâts, c'est une observation, ça ne veut pas dire qu’elle n’en fera pas cette année.(...) La grippe est une maladie qui peut être grave, il ne faut pas l'oublier elle donne des signes de détresse respiratoire. (...)  Plus on bloquera la grippe, plus on limitera le risque de saturer le système de santé. Autre argument, les gens qui se font vacciner contre la grippe, pourraient faire des covid moins sévères. La vaccination contre la grippe donnerait une protection globale faible contre d’autres virus et peut être contre le Covid 19. Je reste prudent, c’est une hypothèse qui est actuellement à l'étude, ce n’est pas une certitude.
 
Retrouvez sur notre site l'interview en intégralité du Pr Jean Sibilia dans le Podcast l'essentiel c'est la santé.