Interview de l'avocat Thierry Moser : "dans l'affaire Grégory, je garde bon espoir de parvenir à la vérité"

15 janvier 2021 à 7h05 - Modifié : 10 mai 2021 à 11h07 par Anne-Sophie Martin

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Thierry Moser publie "Parole d'avocat" aux éditions La Valette ./ @EditionsLaValette

Maître Thierry Moser publie ses mémoires dans Parole d'avocat qui sort ce vendredi 15 janvier aux éditions La Valette. Aujourd’hui âgé de 70 ans, en retraite après 47 ans d'activité, l’avocat mulhousien raconte son métier à travers ses nombreuses  affaires qu’il relate avec précision. Thierry Moser a suivi 250 procès d'assises. 

Ecoutez l’interview de Maître Thierry Moser au micro d’Anne-Sophie Martin. Il revient sur l'affaire Grégory, sur les démons médiatiques qu'il a croisés : Pierre Bodein, Michel Fourniret, Francis Heaulme... Il évoque également quelques réflexions pour améliorer le fonctionnement de la Cour d'assises.

Extraits de l’interview de Thierry Moser.

Vous avez demandé à Jean-Marie Villemin d'écrire la postface, vous avez accompagné les parents de Grégory depuis 1985 et votre client est devenu quelqu'un de très proche. 

Le couple Villemin, Christine et Jean-Marie sont des amis que je connais quand même depuis plus de 30 ans. Il est évident que ce ne sont pas des clients comme on dit habituellement mais ce sont des amis. J’éprouve pour eux de l’affection. Depuis trois décennies, je me bats avec mes confrères Marie-Christine Chastant-Morand et François St-Pierre pour le couple Villemin. Ce sont des gens qui, malgré le malheur épouvantable qui les a frappés, ont eu cette force morale de construire une existence remarquable. Ils ont trois enfants nés après l’assassinat de Grégory, et ces trois enfants ont parfaitement réussi dans l’existence, le couple Villemin est toujours uni dans la vie. Tout cela suscite à la fois mon amitié, mon affection et mon admiration.

Jean-Marie Villemin raconte un moment émouvant comme sa sortie de prison le 24 décembre en 1987 et vous étiez là à ce moment-là. Un avocat se doit d'accompagner son client dans les moments difficiles ?

Je pense que l’avocat doit être un peu comme un médecin de famille, comme un rocher sur lequel la personne en difficulté peut s’appuyer. Le 24 décembre 1987, je suis allé à Saverne vers 18h pour chercher Jean-Marie Villemin qui avait bénéficié d’une mise en liberté et je l’ai accueilli à la sortie de la maison d'arrêt de Saverne. Il voulait à ce moment-là faire un achat, un cadeau pour Christine et pour son fils Julien, qu’il connaissait à peine du fait de son incarcération. Nous sommes allés faire des emplettes pour son épouse et son enfant. Je l’ai ensuite conduit avec mon véhicule à Petitmont, ensuite je suis rentré dans ma famille pour fêter la veillée de Noël. C’est un souvenir très vif qui reste présent à mon esprit.

Un souvenir émouvant, ça fait partie du métier d’avocat ?

Oui heureusement, ça rend ce métier d’avocat tellement passionnant, tellement extraordinaire. La qualité des relations humaines que l’on peut tisser avec un justiciable, c’est quelque chose de prodigieux.

Sur l'affaire Gregory, vous écrivez : "Je garde bon espoir de parvenir à la vérité. J’espère ne pas me tromper. L’avenir le dira." Qu'est-ce qui vous fait dire ça, la vérité devrait éclater dans un avenir proche ?

Je ne suis pas devin, je ne prédis pas l’avenir, je dis que dans ce dossier nous avons amassé à présent pas mal d’éléments qui nous permettent d’envisager un scénario. Nous croyons savoir qui a fait quoi. Alors le savoir c’est très bien, le démontrer c’est autre chose. Je veux espérer que dans les mois à venir nous pourrons effectivement étayer ce dossier et apporter une démonstration. Nous avons d’ailleurs, mes confrères et moi, sollicité récemment à Dijon, la mise en œuvre d’expertise scientifique. La Cour de Dijon rendra une décision début février pour dire si elle rejoint, oui ou non, nos sollicitations. Nous espérons que grâce à ces mesures scientifiques, qui pourraient être ordonnées, nous pourrons avancer notablement.

Concrètement ce sont des expertises sur quels documents ?

 (...) Ce sont des expertises en matière génétique, nous avons également sollicité des expertises génétiques en parentèle, nous avons aussi sollicité des expertises génétiques  visant à dresser, si possible, un portrait-robot et je veux penser, si c’est ordonné par la Cour de Dijon, que cela nous permettra d’avancer significativement.

Comprenez-vous ce magnétisme entre l'affaire Gregory et les médias et maintenant le cinéma, on voit qu'après France 3 et Netflix, TF1 sortira d'ici juin une nouvelle adaptation de l'affaire Grégory.

Il faut dire que cette affaire Grégory est un dossier tout à fait hors du commun, hors norme. Imaginez quand même, un enfant de quatre ans qui est assassiné de façon barbare. Voilà une jeune femme, une jeune maman qui est inculpée et jetée en prison alors qu’elle est enceinte. Elle doit démontrer son innocence qui obtient un arrêt de non-lieu pour absence totale de charges. Voyez également son mari, Jean-Marie, qui par désespoir va malheureusement donner la mort à Bernard Laroche, qui était soupçonné d’être impliqué dans le crime. Voyez ensuite ce couple qui aurait pu baisser les bras, après le procès de Jean-Marie, donc en 1993, en disant stop, ça suffit, on s’arrête, on n’en peut plus. Cela fait maintenant depuis 1984, depuis plus de trois décennies qu'ils se battent, ils veulent la vérité, ils agissent ainsi par respect de la mémoire de leur petit Grégory. Je trouve que c’est absolument extraordinaire et je peux comprendre l’intérêt de notre population pour cette affaire hors du commun.

Vous dites avoir "croisé plusieurs tueurs en série sur votre route professionnelle".  En tant qu'avocat, vous avez eu parfois quelques appréhensions avant d'aborder ces affaires avec des tueurs en série, des démons médiatiques.

Je n’aimerais pas boire le café avec Pierre Bodein, d’ailleurs il me déteste cordialement, mais ce n’est pas grave. Ceci dit, une fois que vous êtes avocat et que vous acceptez un dossier, que vous vous lancez dans la bataille judiciaire, il ne faut pas reculer. On prend un engagement moral vis-à-vis du justiciable et il faut s’y tenir aussi bien que possible.

Vous relatez l'affaire de Montigny-les-Metz, avec Francis Heaulme, le terrifiant procès de Charleville-Mézières en 2008, avec Fourniret, puis l'affaire Bodein. Vous écrivez en parlant de l'affaire Fourniret à l'époque "la justice française n’intègre absolument pas la notion de tueur en série. Notre justice est très mal préparée à ce type de criminalité hors du commun". Qu'est ce qui a changé depuis ?

Ce qui a changé depuis, c’est quand même une meilleure coopération entre les polices de différents pays. Nous sommes en Europe, et on réalise quand même qu’on a besoin les uns des autres et même au-delà de l’Europe. Il faut que les autorités judiciaires et policières puissent se concerter, échanger des informations, travailler en bonne intelligence. À travers différentes conventions internationales en matière judiciaire, je pense qu’on a fait des progrès. 

Dans l’affaire de Françoise Hohmann, la famille était récemment venue vers vous ?

La famille est venue chez moi quelques semaines avant mon départ en retraite (en janvier 2020). Dans cette affaire, Jean-Marc Reiser a bénéficié en 2001 d’un acquittement de la Cour d’assises. La famille souhaitait absolument reprendre les investigations contre lui, malgré la décision d’acquittement. Je me suis employé à faire redémarrer la machine judiciaire et nous avons actuellement une information qui est suivie à Strasbourg par deux juges d’instruction. Ces investigations permettront soit de confirmer l’implication criminelle de Jean-Marc Reiser soit de l’infirmer. Pour l’instant, je m’en tiens à la prudence et je respecte strictement la présomption d’innocence de ce monsieur.

On en saura plus quand précisément ?

Une instruction criminelle c’est long, peut-être d’ici 18 mois, deux ans, trois ans. La justice en général fait son travail bien mais lentement parce que ce n’est pas facile de dénouer la vérité et de la trouver. 

Vous évoquez parfois le devenir des personnes que vous avez défendues, vous donnez une lueur d'espoir et apportez un peu d'humanité aux personnes. (...) Vous évoquez aussi dans votre livre les affaires non élucidées, qui restent des mystères.

Ça c’est une douleur pour moi. J’ai vécu plusieurs affaires non élucidées, malgré les efforts des magistrats, malgré les efforts des policiers ou de moi-même. C’est une douleur parce que ce sont des familles de victimes qui sont restées sans réponses judiciaires. J’ai essayé de relancer les choses dans différents dossiers, parfois avec succès, parfois totalement en vain. C’est une amertume, une souffrance que de constater l’échec, parfois, de la justice.

Quelles sont ces affaires non élucidées qui vous ont marqué ? 

Pour prendre un exemple, il y a l’affaire de la petite Anaïs Marcelli, le crime de l’aéroport de Mulhouse, l’affaire n’est toujours pas résolue. Ces affaires sont d’ailleurs toujours en cours parce que j’ai veillé à relancer la procédure dans la mesure du possible. J’étais aussi l’avocat de la famille d’une jeune femme assassinée au Népal, puis j’étais l’avocat de la famille d’un jeune homme qui a disparu en Inde. On n’a pas eu de réponse dans ces dossiers-là, ce sont des drames qui se déroulent dans des pays lointains, des pays très éloignés de notre France. Les familles pour lesquelles j’intervenais n’ont pas eu de réponse. Pour moi, c’est une frustration, c’est un échec et c’est une douleur.

Thierry Moser reverse ses droits d'auteur à la Fondation de France pour la recherche médicale.