Attentat de Strasbourg : "15 minutes de face à face avec la mort et ma vie bascule"

16 février 2024 à 8h51 - Modifié : 22 février 2024 à 14h28 par Anne-Sophie Martin

Mostafa Salhane publie "15 minutes pour sauver ma vie" aux éditions Plon
Mostafa Salhane publie "15 minutes pour sauver ma vie" aux éditions Plon
Crédit : @Top Music

Mostafa Salhane est un témoin clé mais aussi une victime de l’attentat de Strasbourg. Le 11 décembre 2018, le terroriste Chérif Chekatt monte dans son taxi. Dans son livre “15 minutes pour sauver ma vie”, paru le 1er février 2024 aux éditions Plon, Mostafa Salhane raconte ce face à face avec la mort, comment il est pris en otage dans son taxi puis comment sa vie bascule.

Article réactualisé le 16 février 2024

Mostafa Salhane et le co-auteur de son livre “15 minutes pour sauver ma vie”, le journaliste Frédéric Ploquin, seront en séance dédicace, ce vendredi 16 février de 17h à 19h à la librairie Kléber à Strasbourg.

Article du 1er février 2024

“15 minutes pour sauver ma vie” de Mostafa Salhane, est coécrit avec le journaliste Frédéric Ploquin. Le livre est prenant et se lit comme un thriller, sauf que tous les faits sont réels. Après avoir assassiné cinq hommes et blessé onze personnes, le 11 décembre 2018 sur le marché de Noël de Strasbourg, Cherif Chekatt était monté dans le taxi de Mostafa Salhane, place des Moulins. Ce livre sort à quelques semaines du procès de l’attentat de Strasbourg qui va débuter le 29 février devant la cour d'assises spéciale à Paris.

Dans son livre, Mostafa Salhane raconte ce face à face avec le terroriste, comment il réussit à s’en échapper puis son témoignage à la police, mais aussi le manque de prise en charge et de reconnaissance en tant que victime, la dépression, et sa reconstruction par l’écriture et par l’association l’AVA, l’Association Victimes d’Attentats.

En interview dans nos studios, Mostafa Salhane nous parle aussi de sa thérapie par la peinture. Il exposera prochainement ses œuvres à Strasbourg. Par ailleurs, il est membre de la commission artistique du Musée mémorial du terrorisme qui ouvrira en 2027 à Suresnes. 

 

Retrouvez quelques extraits de l’interview avec Mostafa Salhane

Mostafa Salhane, vous nous racontez chaque seconde du 11 décembre 2018 à partir de 19h58 quand le terroriste monte dans votre véhicule, place des Moulins. A cet instant votre vie bascule ? 

Mostafa Salhane : Il y a un avant et un après l’attentat. Ces 15 minutes face au terroriste vont être très dures et je vais essayer de tout faire pour sauver ma vie. 

Le terroriste vous dit : “Tu vas rester avec moi, c'est fini pour toi, ce soir !” C’est un face à face avec la mort.

Je suis face à la mort, j’ai le diable en personne dans mon taxi qui n'arrête pas de hurler et de crier, il est très nerveux. Je dois faire face à cette situation qui est pour moi inattendue parce qu’on n'est pas prêt à recevoir un client de cette nature là, surtout quand il vous annonce qu’il vient de commettre un attentat. Il me dit : "Je viens de tuer dix personnes, j'ai tiré sur des militaires." Là, vous êtes abasourdi. 

Vous écrivez tout ce que le terroriste vous dit, aussi tout ce qui vous passe par la tête à ce moment-là. 

Oui, je me suis dit il est hors de question de rester assis, malgré la menace de l’arme. L’important était de sauver ma vie, de faire tout mon possible pour pouvoir m’échapper. Donc il y a plusieurs scénarios qui me passent par la tête. (...) Il parle beaucoup, moi je suis concentré sur ma décision de m’échapper. J’analyse la situation pendant qu’il débite sans s'arrêter. Il vient de revendiquer ce qu’il vient de faire. Il me pose la question si je suis musulman, si je fais mes prières, mon ramadan. Donc il y a une confrontation qui se met en route. 

Le fait d’être musulman, c’est ce qui vous a sauvé ? 

Non, je n’ai pas été sauvé car j’étais musulman. Il m’a annoncé qu’il venait de tuer des musulmans dans l’attentat. Moi ce qui m’a sauvé, c’est surtout une force divine qui est au-dessus de moi, qui m’a aidé à m’en sortir. Mais aussi mes expériences de la vie : je suis karatéka depuis longtemps, j’ai été aussi agent de sécurité pendant longtemps. Je pense que c’est cette expérience qui m’a aidé face à ce terroriste

Vous êtes ancien champion de karaté en Alsace, cela vous a aidé à garder votre sang froid ? 

Oui je pense que ça m’a beaucoup aidé, depuis 1984 je pratique les arts martiaux. Je sais aussi faire face à des situations difficiles grâce à mon ancien travail à la sécurité en boîte de nuit : gérer des rapports de force ou des rapports verbaux. Et puis cela faisait aussi 10 ans que j’étais chauffeur de taxi au moment des faits. Donc on rencontre des clients qui sont souvent éméchés, qui ne veulent pas payer et qui cherchent la confrontation. 

On ne ressort pas indemne d'une prise d’otage, 15 minutes avec une arme derrière le dos. Vous n’avez pas été pris en charge comme victime tout de suite. Vous avez fait une dépression et vous avez dû vous reconstruire. 

Oui je n’ai pas été pris en charge immédiatement, après mon interrogatoire de plus de huit heures au commissariat. On m’a laissé repartir avec mon véhicule. C’est pour cela que je raconte les moindres détails dans ce livre, seconde par seconde, ce qui s’est passé ce soir-là. C’est vraiment pour comprendre l’histoire et je pense que le grand public a besoin de savoir ce que j’ai pu faire pour sauver des vies, sauver des policiers et aider la police. 

Rappelez-nous comment vous avez réussi à échapper à Chérif Chekatt ?

On est à 900 mètres du commissariat, il est blessé, il saigne beaucoup et il veut de l’aide. On est dans une ruelle. On sort du véhicule et il me demande de le soigner. J’arrive à l’extraire et on discute, je lui tends un paquet de mouchoirs et à ce moment-là je profite d’un moment d'inattention, je remonte dans mon taxi, j’arrive à m’échapper. Je prends la direction du commissariat afin de pouvoir rapporter le maximum d'éléments parce que je viens d’être pris en otage. 

C’était un coup de poker pour sauver votre peau ?

Ça passe ou ça casse ! De toute façon, je savais qu’il n’y avait plus rien à perdre. Il fallait que j’en finisse une fois pour toute. Donc j’arrive au commissariat de police et je donne tous les éléments, sur ce que je viens de vivre. 

Vous êtes reçu comme un héros à l'hôtel de police, car vous témoignez quelques minutes après avoir abandonné Chérif Chekatt dans le quartier Neudorf . On vous laisse repartir sans prise en charge à 4 heures du matin. 

Je suis reçu par le directeur de la SRPJ, on échange et au même moment, il a au bout du fil le ministre de l’intérieur Christophe Castaner. Là bien sûr, je suis à la disposition de la police et l’enquête commence avec cet échange afin de définir son identité, où est-ce qu’il se trouve et comment je l’ai déposé.

Oui, je suis reparti à 4 heures du matin avec mon véhicule, c’est quelque chose qui m’a surpris. Mais j’étais aussi sonné, comme si je venais de faire un combat pendant plus de huit heures. Je n'avais pas dormi, j’étais très très fatigué. Et donc je rentre chez moi, là c’est le tsunami, c’est la réalité qui revient au galop. Je ne suis vraiment pas bien, je vois mes enfants et toute ma famille en pleurs

Immédiatement il n’y a pas de prise en charge, je me suis rendu le lendemain dans l’après-midi auprès de la cellule de crise devant l'hôpital civil. Après avoir échangé avec les psychologues et psychiatres pendant plusieurs heures, ils ont estimé que j’avais besoin d’un soutien de la part des policiers, donc ils m’ont orienté vers la police afin de demander également une sécurité pour moi.

Après il y a un autre interrogatoire qui met en doute votre récit ?  

Je me retrouve de nouveau interrogé par un service spécial anti-terroriste venu de Paris. Là, il y a une confrontation qui se met en place pendant deux heures avec l’officier qui m’interroge (...).

Vous avez dû porter plainte quelques mois après pour être reconnu comme victime. 

Le dépôt de plainte est venu bien plus tard. Il faut que vous déposiez plainte pour être reconnu par le FGTI, le Fonds de Garantie des Victimes qui est dédié à l’indemnisation des victimes. 

Et le métier de taxi, c’est fini pour toujours ? Vous écrivez dans votre livre :"J’aime mon métier et la liberté qu’il m’offre, j’adore le contact, les gens, les rencontres. La planète entière passe dans mon taxi." 

Le métier de taxi c’est fini pour moi, je ne remonterai jamais dans un taxi. Il y a un avant et un après. Je ne peux plus m’exposer de cette manière-là. J’ai été vraiment touché par un stress post-traumatique très aigu, j’ai fait une forte dépression. J’étais aussi chef d’entreprise d’une autre société où j’étais négociant en épices et malheureusement tout s’est effondré suite à l’attentat. J’étais confronté à ce stress post-traumatique aigu. Et en même temps, j’avais ce sentiment de culpabilité parce que je pensais ne pas avoir fait assez étant donné que le terroriste avait disparu pendant 48h des écrans radars. C’est quelque chose qui m’a miné pendant très très longtemps, avec des cauchemars récurrents tous les soirs. 

En écrivant ce récit, vous vous reconstruisez et pour répondre à ce besoin de reconnaissance, de prise en charge, vous avez fondé l’association AVA dont vous êtes le président. 

L’écriture fait partie de ma reconstruction, dès le départ j’ai pris des notes pour pouvoir écrire, continuer à exister. Ce récit que j’avais écrit durant les cinq années a donné naissance à ce livre dans la plus belle maison d’édition française, Plon. Effectivement, dans la foulée, il y a aussi la création de cette association qui était nécessaire. En défendant les intérêts des victimes, on lutte contre le terrorisme. Nos objectifs sont le devoir de mémoire, la défense des victimes pour leur réparation intégrale et aussi la sensibilisation et la prévention contre la radicalisation auprès de la jeunesse

Pour vous reconstruire, vous faites aussi de la peinture ?

Oui j’ai beaucoup dessiné au départ, car tous mes dessins et peintures ont une signification. Quand je faisais des cauchemars ou des rêves, il fallait que je puisse les transcrire. Ça a commencé en noir et blanc avec des dessins autour de l’attentat et de la mort, puis au fil du temps, j’ai évolué vers la couleur. Actuellement, je peins de grands tableaux d'un mètre sur un mètre cinquante. Je suis en négociation pour une exposition au Mess des Officiers sur la place Broglie à Strasbourg.(...) Je joue avec de la gouache, de l’encre de chine, de la peinture à l’huile. Je n’ai pas pris de cours. Je suis heureux car il y a un résultat qu’il faut reconnaître. C’est une thérapie pour moi. C’est ce que j’appelle l’art thérapie, ça m’a beaucoup aidé !

Retrouvez en intégralité l'interview de Mostafa Salhane.

Ecoutez l'interview de Mostafa Salhane au micro d'Anne-Sophie Martin
Œuvre de Mostafa Salhane
Œuvre de Mostafa Salhane
Crédit : @Mostafa Salhane
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Crédit : Mostafa Salhane
Œuvre de Mostafa Salhane
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Crédit : Mostafa Salhane

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