Céline Bentz : une romancière dans les coulisses du pouvoir

8 mars 2022 à 6h02 - Modifié : 8 mars 2022 à 9h26 par Anne-Sophie Martin

Céline Bentz présente son roman "Oublier les fleurs sauvages"
Céline Bentz présente son roman "Oublier les fleurs sauvages"
Crédit : @Top Music

Céline Bentz, âgée de 26 ans nous présente son premier roman “Oublier les fleurs sauvages” publié aux éditions Préludes. Elle nous parle également de son métier, elle est conseillère et plume du président de la Région Grand Est , Jean Rottner. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, Céline Bentz nous parle aussi d’émancipation féminine.

Ecoutez Céline Bentz au micro d'Anne-Sophie Martin

Céline Bentz, vous êtes jeune, 26 ans et un CV déjà bien rempli. Vous êtes diplômée de la Sorbonne et de Sciences Po Paris, c’est vous qui écrivez les discours du président de Région Jean Rottner, vous avez aussi un mandat d’élue, vous êtes conseillère municipale à Sarrebourg et déjà un premier roman à votre actif. A 26 ans, un parcours brillant et bluffant !

Ecoutez, j’ai un certain nombre de choses que j’ai envie de faire, et j’ai toutes les envies un peu au même moment. J’avance dans les différentes directions et j’essaye de garder du temps pour faire du sport, lire et pour garder une vie sociale. 

Parlons de votre roman, "Oublier les fleurs sauvages" publié aux éditions Préludes. Un roman qui a pour héroïne Amal, la fille de la famille libanaise Haddad, sur qui repose tous les espoirs. Il y a un beau modèle d’émancipation féminine dans ce roman. Est-ce que l'héroïne vous ressemble ?

J'aimerais lui ressembler ! Amal, c’est la dernière d’une famille nombreuse, elle grandit au Liban qui plonge dans la guerre civile à partir de 1975, elle rêve de devenir médecin et pour réaliser ce rêve, elle va devoir choisir entre sa terre d’origine, ceux qu'elle aime et un pays où elle pourra étudier. (...) Trois personnages de ma famille m’ont inspirée. Ma mère m’a beaucoup inspirée pour ce personnage, ma grand-mère très chaleureuse et généreuse et un oncle très fougueux, courageux et entreprenant, j’ai repris les traits de son caractère pour créer le révolutionnaire Yacine.

Vous avez une double culture, une mère libanaise et un père français. Vous parlez de votre pays d’origine Le Liban, est-ce que vous y retournez souvent ? 

Oui j’y retournais souvent, une fois par an jusqu’à ce la situation s’envenime, depuis la pandémie on n'y est pas retourné. J’ai dû mal à imaginer passer des vacances alors que certains se demandent comment manger à leur faim. Depuis l’explosion, il y a une terrible crise économique, qui est aussi liée à l’impéritie d’une classe dirigeante qui pratique la corruption de façon éhontée.

Après 1990, on a fait le choix d’une amnistie, aucun des chefs de guerre n'a été condamné, ces gens-là sont partis avec le trésor et ont créé des entreprises mafieuses.

Vous parlez aussi d’un pays en guerre dans votre roman ? Certes le contexte n’est pas le même avec l’Ukraine, mais quand vous voyez l’invasion en Ukraine, est-ce que vous pensez à votre pays, le Liban ? 

Oui bien sûr que j’y pense. Et il y a l’un des personnages dans mon roman, Yacine, très engagé dans le parti communiste libanais qui fuit vers l’URSS. Il va accoster sur les bords de la mer noire à Odessa, qui est une ville russophone au sud de l’Ukraine. (...) J’imagine aujourd’hui le destin de ce personnage qui pensait avoir trouvé une forme de paix, dans ce qu’il croyait une forme de paradis, il est aujourd’hui sous les bombes et les tirs russes, contraint de s’exiler en Roumanie ou en Pologne.

Il y a plusieurs passages sur la noirceur et l'absurdité de la guerre et sur le sentiment de désespoir de vies brisées.

Tout à fait, ce que j’ai voulu montrer, c'est que les destins des uns et des autres sont pris dans la machine de la grande histoire. (...) J’ai voulu montrer que la capacité des individus à décider de leur propre vie, est fortement conditionnée par le devenir du monde. Tous ces personnages sont conscients de la fugacité de leur existence, et en temps de guerre, ce sentiment est particulièrement accru.

Vous parlez aussi de religion dans ce roman, il y a une histoire d’amour entre une musulmane et un chrétien maronite ? 

Une histoire d'amour impossible. Il n’y a toujours pas de mariage civil au Liban. On ne peut pas procéder à un mariage mixte, sinon il faut partir à Chypre. Vous ne pouvez pas sortir de votre milieu d’appartenance.  Pendant le conflit, ça a été exacerbé, car la guerre se détermine par des lignes de fracture religieuse.

Pour écrire ce roman, ça a été assez naturel, vous aviez l’écriture de ce roman en tête depuis l'adolescence ? 

Oui, absolument car quand ma grand-mère est décédée, je me suis dit qu’elle avait une vie romanesque, je souhaitais lui rendre hommage. J’ai étudié un an à Beyrouth, j’en ai profité pour interroger la famille et j’ai fait des recherches sur la mémoire de la guerre civile.

Dans la littérature, quels sont les auteurs qui vous inspirent ? 

Comme on parle du Proche-Orient, Mathias Enard qui a obtenu le prix Goncourt pour son roman Boussole où il parle d’un voyage en Iran et en Syrie.

Sinon pour parler d’auteurs moins récents : Romain Gary, Promesse de l’aube, c’est un livre qui m’a marquée, avec cette relation très forte entre l’écrivain et sa mère. (...)

Vous êtes aussi la conseillère de Jean Rottner, vous écrivez ses discours. Comment ça se passe au quotidien, ça consiste en quoi précisément la fonction de plume d’un élu  ? 

Je ne suis pas plume à temps complet. Le président qui connaît bien ses dossiers n’a pas toujours besoin de quelqu’un pour écrire ses discours. Je fais ça pour des événements formels comme les séances plénières du Conseil régional. Je suis également conseillère à la culture, au tourisme et à la coopération décentralisée.

Le métier de plume consiste aussi à interroger l’élu, à voir quelle est sa vision de tel sujet. Le moment génial, c’est quand on construit un propos, où je recherche des références, on passe du monde des idées aux politiques concrètes. Je n'ai pas la prétention de dire que j’inspire l’élu, mais en discutant, en échangeant des articles, on crée un discours politique. 

Vous êtes une femme de l’ombre dans les coulisses du pouvoir. Quel est votre regard sur la politique ? La politique est-ce trop un métier d’homme, entre hommes ?

Le métier a beaucoup évolué ces dernières années, avec la parité et l'alternance imposées sur les listes, il y a autant d'hommes que de femmes politiques. (...) Néanmoins, il y a moins de femmes à la tête des intercommunalités ou des conseils départementaux.

Oui à la tête, il y a un plafond de verre, il y a un problème.

Si il y a un problème, il n’est pas conscientisé, personne ne dit je ne veux pas d’elle car c’est une femme. Mais, il y a des réflexes acquis depuis si longtemps, qu’on a fini par penser qu’il était normal que les femmes ne soient pas là.

Est-ce qu'aussi les femmes s’autocensurent ?

Oui. Elles s’autocensurent en voulant bien faire, par pudeur ou par modestie, or tous les hommes n’ont pas ce type de problématique. 

Christiane Taubira, disait encore récemment : “la politique est un milieu violent inhospitalier aux femmes.

C’est un milieu violent inhospitalier tout court. C’est dur pour tout le monde. Il y a des rivalités et des désaccords. Un milieu dans lequel on s'exprime de manière extrêmement dure et brutale. En revanche, il est vrai que c’est encore plus dur quand on est une femme et une femme jeune.

Vous avez aussi un mandat d’élue, vous êtes conseillère municipale, votre objectif est de poursuivre en politique ? Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?

Oui j’aimerais poursuivre en politique pour mon territoire mosellan et pour le Grand Est où je connaîs bien les enjeux, les problématiques, la population. Plus on connaît, plus on a envie de faire, c’est entraînant, quand on engage un projet, on a envie qu’il dure plus d’un mandat. 

Pour vous, est-ce qu’aujourd’hui il y a encore des freins à l’émancipation des femmes ? 

Je pense qu’il y a un certain nombre de femmes qui freinent leur émancipation, contraintes d’assumer un certain nombre de tâches. Il y a des contraintes qu’on nous a transmises dont on n'arrive pas à se détacher. 

On voit aussi qu’il y a toujours des inégalités salariales littéralement intolérables. 

Il y a des inégalités entre hommes et femmes qui vous agacent ?

Évidemment, des petites remarques sur les tenues, des remarques dans les transports ou de vraies problématiques de harcèlement qui sont inadmissibles aujourd’hui.

Aujourd’hui vous êtes enceinte, vous revenez de congé maternité, vous avez toute une place à reconquérir, on va considérer que vous avez perdu du temps dans votre carrière, c’est strictement inadmissible. (...)

Quelles sont les femmes célèbres qui vous inspirent ? 

La chanteuse libanaise Fairouz, une grande poétesse qui a eu la force de chanter pendant la guerre, de chanter dans les pays du monde arabe, de passer des messages de paix sans être instrumentalisée. (...)

Je suis aussi admiratrice de dessinatrices comme Pénélope Bagieu. Alors que l’illustration et la bande dessinée sont des milieux qui appartiennent encore beaucoup aux hommes. Pénélope Bagieu reprend les grandes figures féminines et tout ce travail est salutaire pour les femmes.

Le premier roman de Céline Bentz "Oublier les fleurs sauvages"