Lutter contre les virus comme les insectes ?
Publié : 16 décembre 2022 à 7h21 par Sebastien Ruffet
La qualité des scientifiques strasbourgeois est trop méconnue. Jean-Luc Imler, de l'IBMC, vient d'obtenir un prix de la Fondation pour la Recherche Médicale, après des recherches étonnantes et prometteuses sur les insectes et la façon dont ils combattent les virus. On vous explique ça avec des mots simples.
C'est le sujet qui m'a mis la puce à l'oreille. Mais pour ce qui est de la biologie moléculaire, je dois avouer une certaine forme d'incompétence. Heureusement pour nous, Jean-Luc Imler est, en plus d'être un scientifique de renom, un fin pédagogue. Il est le directeur de l'Institut de Biologie moléculaire et cellulaire du CNRS (IBMC). On va faire comme pour l'ADN : on va séquencer.
Recherche fondamentale, c'est quoi ?
"La recherche fondamentale, c'est étudier quelque chose sans savoir ce que l'on va trouver. Juste pour comprendre son fonctionnement. C'est ce qu'on a fait ici, au début, avec la façon dont les insectes se défendent contre les infections, que personne n'avait vraiment pris le temps d'étudier. On cherche davantage chez les mammifères parce qu'ils nous ressemblent. La recherche appliquée, c'est comment faire bénéficier à l'homme des trouvailles de ces études. Elaborer un vaccin, c'est de la recherche appliquée."
Pourquoi les insectes, à l'origine ?
"On en revient à notre recherche fondamentale. On ne sait pas s'il y aura des applications un jour, au début. Jusqu’aux années 1990, l’essentiel des travaux en immunologie portait sur les mammifères: leur immunité implique des anticorps, des globules blancs qui sont absents chez les insectes. Alors comment ces derniers se défendent-ils ? Les vertébrés ont une immunité adaptative : quand l'homme a été infecté pour la première fois par le Sars-Cov2, un virus qu’il n’avait jamais vu, il a su créer des anticorps: son système immunitaire s’est adapté. Mais cette immunité adaptative n'est pas présente chez les invertébrés. Il n'y a que l'immunité innée, qui est aussi présente chez nous, puisque c'est elle qui oriente le système vers la production des bons anticorps."
Des éléments intéressants et passionnants.
"On a remarqué à l'IBMC, et notamment les travaux de Jules Hoffmann, prix Nobel de Médecine et Physiologie en 2011, que les insectes, pour se défendre contre les infections, produisaient des molécules anti microbiennes et des cellules, qui vont faire de la phagocytose : elles vont ingérer et digérer les microbes. On a travaillé avec la mouche du vinaigre, et à l’aide de la génétique on a identifié les gènes qui réagissaient en cas d'agression. Et on s'est aperçu que ces gènes existaient aussi chez l'homme ! Ces travaux nous permettent de remonter le temps et d’identifier des gènes qui existaient chez l'ancêtre commun des mammifères et des insectes, qui vivait il y a des centaines de millions d’années. En outre, si ce gène s'est maintenu au cours de l’évolution et qu’il est toujours là aujourd’hui, c'est qu'il est important."
Un nouveau mécanisme de défense contre les virus.
"Dans nos études, nous avons découvert une réponse immunitaire contre les virus, qui implique un gène également présent chez l'homme. Ce gène code une enzyme qui produit un dinucléotide cyclique (rire). En gros, le système immunitaire produit une petite molécule chimique qui se fixe sur des récepteurs et qui active une réponse plus forte et plus rapide. C'est un amplificateur. Et on voit que si on injecte cette molécule à notre mouche, elle résiste à de très nombreux virus. C'est très intéressant. Cela se produit par l'expression de molécules antivirales, plus d'une centaine, dont nous étudions à présent la fonction."
C'est ici, sur le campus de Strasbourg, qu'avancent les recherches de Jean-Luc Imler
Voyage dans le temps.
" De nombreux gènes de l'immunité étaient déjà là il y a plusieurs centaines de millions d'années, et protègent toujours les mouches et l'homme contre les infections ! Certains de ces gènes viennent du monde microbien : les bactéries sont en effet, comme nous, infectées par des virus, depuis l'apparition de la vie sur Terre, et elles se défendent contre ces infections par des mécanismes donc nous avons hérités, c'est fascinant. A côté de cela, chez les humains, les anticorps se sont ajoutés: on peut donc se demander ce qui s'est ajouté pendant ces centaines de millions d'années chez les insectes ? Nos derniers travaux montrent en effet que l'amplificateur chimique que nous avons identifié induit ches la mouche des gènes qui n'existent pas chez les mammifères: on va étudier ces gènes que personne n'a jamais étudié !"
Des applications ?
"Elles sont impossibles à prédire à ce stade mais le pari est que l'étude de gènes inconnus activés pour défendre la mouche contre les virus permettra de concevoir de nouvelles stratégies de lutte contre les virus : c'est de la bio-inspiration. On ouvre un nouveau champ de recherche. Par exemple, on va étudier les insectes qui se nourrissent du guano de chauve-souris, parce qu'on sait que c'est un vecteur de transmission du Sars-Cov2, d'Ebola. Donc on va voir comment ces insectes combattent ces virus. L'enjeu ici est qu'on estime qu'il y a 5 millions d'espèces d'insectes, contre seulement 5 milles espèces de mammifères. C'est un fantastique réservoir de biodiversité, même si on ne pourra pas tous les étudier (rires).
Les moustiques transmettent les virus, mais ils les combattent aussi.
"Un autre champ d'application est la transmission de maladies infectieuses par moustiques, comme les virus de la dengue ou Zika. Nos travaux ont déjà permis d'identifier un moustique qui lutte très efficacement contre la dengue et qui ne la transmet pas à l'homme."
Jean-Luc Imler fait tomber la blouse le temps d'une photo