Strasbourg, capitale de la médecine collaborative
Publié : 3 juillet 2024 à 8h52 - Modifié : 3 juillet 2024 à 10h19 par Sébastien RUFFET
C'est peut-être un début de révolution dans le monde médical et c'est à Strasbourg que ça se passe. OpenCare Lab veut mettre en relation les bonnes idées du secteur de la santé, les développeurs et les utilisateurs ou patients en bout de chaîne. Le but : arriver à des solutions qui soient satisfaisantes pour tout le monde, qu'il s'agisse de digital, de traitements ou d'outils pour les professionnels de santé.
Pour bien comprendre les applications recherchées par le projet OpenCare Lab, entretien avec son directeur général, Guillaume Facchi. Cette société coopérative d'intérêt collectif a vu le jour il y a deux ans à Strasbourg.
Top Music : Si on devait faire le "pitch" d'OpenCare, ce serait quoi ?
Guillaume Facchi : C'est donner la place aux usagers de la santé dans les innovations en santé. Aujourd'hui, les gens qui développent des innovations, c'est souvent des ingénieurs, des entrepreneurs qui ont une idée, mais qui sont loin de la réalité du terrain, donc on veut redonner de la place aux usagers pour développer des solutions qui leur correspondent et qui puissent leur servir concrètement.
Concrètement, justement, ça veut dire que le patient, le soignant, chacun peut donner son idée et son vécu ?
Pour donner un exemple, on accompagne un projet qui est un compagnon pour des lieux de vie pour des personnes qui ont des problèmes cognitifs, comme Alzheimer. Les développeurs imaginent souvent une cible principale, mais il y a plein d'usagers autour. Donc là ça va être les personnes malades, mais aussi les accompagnateurs, les équipes soignantes, les proches... Nous, on peut intervenir à différents moments dans la phase de développement d'un produit, et même dès le départ en proposant d'intégrer des usagers dans le processus de réflexion pour définir le produit. Ensuite, on va proposer des expérimentations en conditions réelles. On ne teste pas le côté médical, mais le côté pratique. L'introduction du numérique apporte beaucoup de solutions nouvelles, mais potentiellement peut exclure beaucoup de personnes. Le fait d'intégrer les usagers permet d'adapter à différentes typologies de personnes.
"Personne ne connaît mieux la pathologie que celui qui la vit"
Donc OpenCare va venir se mettre à la croisée des chemins, avec certaines structures en particulier ?
Je peux citer Quest For Health, qui est l'incubateur régional de la santé, la maison sport-santé de Strasbourg où on a nos locaux, les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg... On va se positionner davantage sur la prévention que sur le curatif. On accompagne sur la continuité des projets. Personne ne connaît mieux la pathologie que celui qui la vit. Donc c'est important de tenir compte de sa voix. Les malades ont envie d'être acteurs de leur santé.
Cela vient changer la donne en terme de santé ? On doit souvent s'adapter au digital, mais là vous dites aux développeurs, aussi, de s'adapter au terrain...
C'est un sujet universel, et en même temps, il n'y a pas de généralité. Individuellement, on n'est pas formé à prendre soin de soi. Et en plus en France, on considère que la santé, c'est quand on est malade, alors que c'est un capital qu'on a et qu'on doit entretenir tout au long de sa vie. En Chine, par exemple, ils sont beaucoup dans la prévention. Là bas, un bon médecin, c'est celui que tu ne vois pas. Plus on fera de la prévention, moins ça coûtera cher. Faire du sport, mieux manger, ça coûte moins cher que de devoir traiter un diabète ou une insuffisance cardiaque. Notre système de santé a déjà des difficultés, et quand on voit la pyramide des âges, on sait qu'on va avoir de plus en plus de pathologies chroniques. Donc mieux on intégrera les patients et les citoyens dans les processus d'innovation, mieux ce sera. On participe pas de la même manière quand on est jeune papa du centre ville, mère célibataire d'un quartier prioritaire ou personne âgée dans un village alsacien, les attentes ne sont pas les mêmes.
L'Alsace, c'est très vivant en termes d'innovation de santé, c'est un beau terreau pour vous ?
On a la chance d'avoir un territoire à la pointe sur le domaine de la santé avec une volonté des institutions publiques de porter des initiatives comme le sport sur ordonnance, remboursé par la Ville et pas par la CPAM. Il y a aussi le projet NextMed qui est un campus des technologes médicales au NHC, et puis tout un écosystème avec BioValley France, Quest For Health, l'IGBMC, e-Cube, l'IRCAD qui est aussi un pavillon reconnu à l'international sur la chirurgie.
"La santé, ça peut aussi être du plaisir"
Vous allez toucher un spectre très large, la prévention, les applis d'activité physique, de prévention... Certains exercices ne sont pas toujours adaptés, et ça va jusqu'à l'hospitalisation ?
Oui, tout le parcours de soin, et aux personnes à qui on va dire vous devez faire une activité, il faut changer votre mode de vie. Il y a ce côté un peu punitif en France. Un exemple tout bête : quand Pokemon GO est sorti, un des effets qu'on n'attendait, c'est que des enfants sédentaires ont commencé à sortir, et c'était très positif. La santé, ça peut aussi être du plaisir. D'où cette idée de partenariat : entre un traitement idéal que le patient ne va pas suivre, et ne rien faire, il y a un espace où on peut trouver une solution optimale pour la personne en face de nous. Donc il faut le faire avec les usagers, en prenant en compte leur parcours de vie.
Et c'est aussi valable pour les médecins ?
Oui, un cas concret : un médecin me disait on nous a développé une messagerie sécurisée, ça me prend dix minutes pour envoyer un document à mon collègue pour avoir un deuxième avis, alors que sur gmail ça me prend 3 secondes, et j'ai pas 10 minutes à attendre, si le patient qui est là devant moi. Et donc c'est en tenant compte de ces situations réelles qu'on peut améliorer les solutions envisagées, pour les rendre plus "utilisables".
La santé, c'est très large au final !
On parle souvent de la santé physique, un peu moins de la santé mentale, et presque jamais de la santé sociale. On sait que quelqu'un dans la difficulté sociale, cela va avoir des répercussions sur sa santé physique et peut-être aussi sur sa santé mentale. Donc il faut travailler sur tous les aspects, sinon on rate quelque chose. C'est aussi pour cela qu'on a été retenu par l'Etat, Tiers Lieu d'expérimentation en santé numérique. Il y en a seulement deux dans le Grand Est lors de la première vague.
"Il y a aussi ce concept de One Health : santé humaine, environnementale et animale"
Tout est santé...
Il y a aussi ce concept anglo-saxon de "One Health", à savoir la santé humaine, la santé environnementale et la santé animale. De la même façon que ce que l'on disait avant, si on n'améliore pas la santé environnementale... On le voit sur les pathologies : si on ne prend pas soin de la planète, on ne pourra pas améliorer la santé humaine. On voit bien que ce qui était de la médecine avant où on traitait de façon classique, aujourd'hui on se pose des questions sur la formation aussi des médecins, qui doivent être plus que des bons techniciens. Il faut aussi former des bons "médecins", des gens qui écoutent, qui travaillent en partenariat avec leurs patients, mais c'est pas quelque chose d'inné. On a aussi des "patients experts", qui connaissent très bien leur maladie et qui peuvent faire des retours d'expérience pour améliorer aussi le quotidien de personnes qui ont aussi la même pathologie.
Et donc tout le monde peut participer ?
Exactement : si vous voulez rejoindre la communauté, c'est ouvert à tous les Alsaciens, sur opencare-lab.fr et s'inscrire pour participer à des expérimentations en fonction de leurs envies ou de leurs choix. On proposera aussi des petits modules de formation sur comment on développe des innovations en santé.