Précarité en Alsace : le témoignage de Tina

21 novembre 2023 à 12h08 - Modifié : 21 novembre 2023 à 12h09 par Jules Scheuer

Malgré les épreuves auxquelles elle a du faire face, Tina n'a jamais baissé les bras.
Malgré les épreuves auxquelles elle a du faire face, Tina n'a jamais baissé les bras.
Crédit : Top Music - JS

Parmi les personnes croisées chez Caritas Alsace lors de la conférence de presse sur les chiffres de la pauvreté, nous avons fait la connaissance de Tina. Cette alsacienne de 62 ans, est venue raconter son histoire touchante et son parcours de vie sinueux.

Tina fait partie de ceux qui n’ont pas été épargnés, de ceux qui ont été contraints de se battre tout au long de leur vie. Aujourd’hui âgée de 62 ans, elle vit à Schwindratzheim avec seulement 530 euros par mois pour subvenir à ses besoins. « J’ai eu un vécu avec beaucoup de galères. Mes enfants, un premier divorce, un deuxième divorce. À chaque fois ce sont des nouvelles descentes, des questions, des maladies… » Voilà comment la vie de Tina a été rythmée durant des années. 

Après des moments de doutes et d’instabilité professionnelles suite à ses deux divorces et ses quatre grossesses, Tina reprend un travail à temps plein en intérim. Petits boulots de manutention, quelques fois en Allemagne, crainte du lendemain avec des payes parfois tardives… À 50 ans, Pôle Emploi finit par la pousser à trouver un CDI. Elle décide alors d’entamer une formation et s’inscrit en CAP cuisine.

"Je me suis retrouvée avec un énorme problème"

La quinquagénaire se forme alors pendant un an et trouve immédiatement  du travail en tant que cheffe de cuisine dès l’obtention de son diplôme. Après un temps, Tina court après un rêve. Celui de partir exercer ce métier qu’elle chérit tant à l’autre bout du monde, en Guadeloupe. Malheureusement, un coup du sort va  tout compromettre. Peu avant son départ, elle subit une rupture de la coiffe de l’épaule gauche. « Je me suis retrouvée avec un énorme problème. » 

Tina ne peut alors plus travailler. Elle est reconnue inapte par la sécurité sociale. Mais rapidement, les choses changent et la CPAM fait volte-face. « On m’a déclaré consolidée et depuis je ne bénéficie plus que d’une rente de 100 euros par mois. » Pourtant, l’état de son épaule ne s’est jamais améliorée et elle ne peut toujours pas travailler. Sa situation financière se dégrade alors très rapidement. « Aujourd’hui cette blessure m’empêche toujours de travailler, je ne suis pas guérie. Je n’ai plus de revenu, on me donne le minimum. Ces 100 euros de rente sont déduits du RSA et je n’ai que 530 euros par mois pour vivre. »

Des ateliers cuisine pour partager son savoir-faire

S’ensuit alors une période de dépression. Elle voit alors ses enfants lui tourner le dos ne comprenant pas comment leur mère qui a toujours tout endurer ne parvient plus à rebondir cette fois-ci. C’est au contact de Caritas qu’elle apprend à reprendre confiance en elle et à aller de l’avant. Aujourd’hui proche de la retraite et toujours sujette à cette maladie professionnelle, Tina ne peut plus trouver de travail. Elle met à profit son temps en tant que bénévole auprès de l’association, pour donner des conseils dans son domaine de prédilection. 

« J’ai créé un atelier cuisine chez Caritas. Je travaille les produits de l’épicerie solidaire et je fais découvrir des multitudes de possibilités pour créer des repas à partir de produits simples. » À 62 ans, elle continue de bénéficier des services de l’association en attendant que sa situation s’améliore. « On peut tous avoir besoin un jour d’une main tendue et Caritas est là pour ça. »

"On me laisse crever de faim alors que j’ai travaillé toute ma vie"

Aujourd’hui, Tina en veut à l’administration française. « On me laisse crever de faim alors que j’ai travaillé toute ma vie. Je suis une femme en colère. » Une fois retraitée, l’Alsacienne devrait toucher une pension convenable pour lui permettre de retrouver une situation financière plus stable. « Ce sera une bouffée d’oxygène. J’ai travaillé toute ma vie pour ma retraite. J’ai élevé mes 4 enfants en travaillant et c’est une fierté qu’ils aient réussi leur vie. Pour moi c’est un soulagement d’avoir réussi tout cela malgré ma situation actuelle. Je suis fière d’avoir traversé tout ça. Ça n’a pas été facile. Loin de là. »

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La pauvreté gagne du terrain en Alsace

L’association Caritas Alsace a dévoilé ses chiffres sur la pauvreté en Alsace. Entre bilan de l’année 2022 et tendances de 2023, le constat est sans appel : la pauvreté touche de plus en plus de personnes et de manière plus importante.

En 2022, l’association Caritas Alsace est venue en aide à plus de 10 000 ménages à travers toute la région, soit environ 25 000 personnes dont un tiers d’enfants. Par rapport à l’année 2021, cela représente une augmentation de 20% des activités de l’association. La faute à une sortie de crise sanitaire et un contexte inflationniste ayant entrainé une hausse de 6% des prix de l’alimentation et de 23% des prix de l’énergie. Aujourd’hui le constat est là : la pauvreté a pris de l’ampleur dans la région.

Face à ces difficultés financières, tous les ménages ne sont pas égaux. Les mères isolées représentent 27% des ménages rencontrés par l’association, soit la part principale du public de Caritas Alsace. Deux tiers d’entre elles vivent sous le seuil d’extreme pauvreté, avec un revenu inférieur à 800 euros. Les femmes sont petit à petit devenues les plus exposées face à la pauvreté au fil des ans. En 1989, elles étaient 50% à solliciter l’aide de l’association en Alsace. Aujourd’hui, elles sont 59%.

"Dans 9 cas sur 10, la charge des enfants leur revient"

Un chiffre qui s’explique assez logiquement pour Olivier Coupry, directeur de Caritas Alsace : « On retrouve principalement des femmes en première ligne parce que dans 9 cas sur 10, la charge des enfants leur revient. Très souvent ces femmes sont seules à la suite d’une séparation et c’est elles qui ont la garde des enfants. Elles doivent assumer cette charge avec l’impossibilité d’avoir un travail suivi et complet. »

La pauvreté touche donc plus de monde, majoritairement des femmes, mais elle devient aussi plus importante qu’auparavant. En observant le revenu médian de ses bénéficiaires, Caritas Alsace a constaté une baisse importante. Aujourd’hui, la moitié du public fréquentant ces établissements dispose d’un revenu inférieur à 460 euros par mois. 

Tous ces chiffres relevés sur l’année 2022 pourraient être plus préoccupants sur l’exercice 2023. Car même si Caritas Alsace n’a pas encore édité les chiffres de l’année en cours, de grandes tendances se sont déjà dégagées. À l’échelle régionale, une nouvelle hausse de 10% des fréquentations a été constatée. Ce phénomène est amplifié à Strasbourg : au mois de septembre 2023, la permanence des arcs-en-ciel a enregistré 57% de fréquentation supplémentaire qu’un an exactement auparavant. À Mulhouse, le 30 septembre 2023, 500 foyers avaient déjà reçu de l’aide de Caritas Alsace, soit autant que sur toute l’année précédente.

Des demandes d'aide sur les factures d'énergie

Au delà des demandes d’aides alimentaires, un secteur en particulier a nécessité l’intervention de l’association. « On s’est aperçus qu’en milieu rural, la quasi-totalité des demandes d’aide aujourd’hui, ce sont des aides au chauffage, à l’électricité et au transport », constate Olivier Coupry.

Avec un budget annuel de 4 à 5 millions d’euros, dont 80% proviennent des dons, Caritas Alsace fait prospérer son activité grâce à ses 1 800 bénévoles. L’association en cherche d’ailleurs activement, puisqu’elle en renouvelle entre 300 et 350 par an. De plus, l’association a constaté cette année un léger fléchissement des dons, alors que son budget d’aide alimentaire augmente de 25%.

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